25 janv. 2023
La désinhibition est l’un des principaux symptômes de la variante comportementale de la démence fronto-temporale (bvFTD), une démence associée à la dégénérescence des lobes frontaux et temporaux du cerveau. Les patients concernés ont des comportements considérés comme inappropriés, devant lesquels les soignants et les proches se trouvent parfois démunis. Grâce à l’étude ECOCAPTURE menée à l’Institut de Cerveau par Bénédicte Batrancourt, Richard Levy et Lara Migliaccio (Inserm, CNRS, Sorbonne Université, AP-HP), de nouvelles pistes se dessinent pour distinguer différents types de désinhibition sur lesquels il est possible d’intervenir, sans recours à des médicaments. À l’horizon, la possibilité d’améliorer la prise en charge et de réduire l’isolement des patients et des aidants. Les résultats de l’étude sont publiés dans la revue Cortex.
La variante comportementale de la démence fronto-temporale (bvFTD), comme les autres types de démences, est marquée par un déclin progressif des fonctions cognitives. Mais elle se caractérise aussi par une atrophie cérébrale sévère et par la présence des dépôts de protéines anormales à l’intérieur des neurones. Les effets de la bvFTD sur le comportement sont particulièrement marqués, et d’autant plus troublants qu’ils apparaissent chez des sujets encore jeunes et actifs – entre 45 et 65 ans. Changements dans l’expression de la personnalité, apathie, altération du jugement et de l’empathie, conduite inappropriée, … les symptômes sont difficiles à prendre en charge, notamment parce que patients ne sont pas conscients de leur maladie et n’en perçoivent pas les conséquences sur leur entourage.
« La démence fronto-temporale doit sortir de l’invisibilité. Comme les patients ne sont pas en mesure de demander des soins, ce qui est fréquent dans les maladies neuro-comportementales, ils n’ont pas vraiment de voix propre, déplore Lara Migliaccio. Quant aux aidants, ils sont souvent désorientés, car les patients sont jeunes et ont rarement des co-morbidités. La prise en charge en Ehpad ou l’hospitalisation ne sont pas du tout adaptées. »
Actuellement, il n’existe pas de traitement spécifique de la bvFTD. Parfois confondue avec d’autres troubles, comme la maladie d’Alzheimer, particulièrement difficile à repérer quand le comportement des malades est source de tabous dans le milieu familial, la bvFTD reste mal comprise – de même que la désinhibition, l’un de ses principaux symptômes. Or, les manifestations de cette désinhibition peuvent être propres à chaque individu et varier en fonction de l’environnement et des situations sociales, d’où la nécessité de les étudier dans un cadre réaliste, par une approche dite « écologique ».
C’est tout l’objet du travail mené par Lara Migliaccio et Bénédicte Batrancourt à l’Institut du Cerveau, au sein de l’équipe FrontLab, dirigée par Richard Levy. En collaboration avec leurs collègues de l’Université de Rennes, les chercheurs ont recruté 23 patients atteints de bvFTD et 24 volontaires sains à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Ils ont étudié le comportement de chaque individu dans le cadre d’un même scénario : les participants devaient patienter, seuls, dans une pièce meublée ressemblant à une salle d’attente, et équipée de caméras. Pendant 45 minutes, ils ont été invités à explorer la salle et interagir librement avec les objets qui y avaient été disposés (jeux, magazines, nourriture, boissons, pèse-personne, stylos, etc.). Dans la dernière partie de l’expérience, ils ont reçu un questionnaire les encourageant à explorer des zones spécifiques de la pièce pour répondre aux questions posées.
Reconstitution d’une salle d’attente pour l’étude ECOCAPTURE. © Institut du Cerveau.
Grâce à ce scénario propice à l’émergence de comportements inattendus, l’équipe a observé, à la fois dans le groupe bvFTD et dans le groupe contrôle, une variété de comportements désinhibés qu’ils ont classé en trois catégories : la compulsion, qui comprend des mouvements répétés ou une persévérance inappropriée (ouvrir et fermer la fenêtre sans but particulier, se frotter les mains sans interruption, insister pour ouvrir un robinet qui ne fonctionne pas…), l’impulsivité, marquée par le surgissement de pulsions ou de fortes émotions (cris, fou-rires, pas de danse…) et la désinhibition sociale, dans laquelle le participant ne respecte pas les codes tacites de la communication avec autrui (non-respect des consignes de l’expérimentateur, familiarité excessive, insultes…).
Cette classification a permis aux chercheurs de mesurer de manière objective les effets de l’intervention d’un tiers sur les différentes composantes de la désinhibition. Leurs résultats indiquent tout d’abord que, se croyant seuls, tous les participants ont montré un certain niveau de désinhibition – beaucoup plus marquée chez les patients bvFTD que dans le groupe contrôle, cependant, en particulier pour la désinhibition sociale. Ce constat confirme l’idée selon laquelle les comportements désinhibés existent sur un spectre, et que c’est simplement leur intensité et leur fréquence qui constitue leur nature pathologique dans la démence fronto-temporale.
Les chercheurs ont également noté que les patients bvFTD avaient tendance à rester oisifs s’ils n’étaient pas activement encouragés à réaliser une action. Plus leur niveau d’activité était élevé, plus les symptômes de la désinhibition sociale étaient amoindris. Enfin, leur niveau d’impulsivité était fortement réduit lorsqu’ils étaient concentrés sur une tâche, comme remplir le questionnaire demandé par l’examinateur. Des techniques de stimulation adaptée à chaque patient (jeux, puzzles, activité physique…) pourraient donc se révéler des outils non-médicamenteux utiles pour réduire la frustration et l’agitation chez ces malades, dont ils sont les premiers à souffrir, mais qui affectent aussi beaucoup les soignants et les proches.
Reste désormais à reproduire ces résultats sur un plus grand nombre de patients, et à apprécier la durée des bienfaits induits par l’intervention des aidants. En effet, les personnes touchées par la bvFTD ont tendance à ressentir un stress quand leur environnement exige des performances cognitives dont ils ne sont pas capables : une stimulation trop forte ou inappropriée pourrait renforcer leurs symptômes, plutôt que les soulager. Les chercheurs suggèrent ainsi que des activités qui correspondent à des hobbies préexistants, ou des tâches domestiques familières (cuisine, jardinage…) seraient les plus susceptibles d’apporter un bénéfice important.
« La prochaine étape sera de comprendre le comportement des patients avec un niveau de détail encore plus fin, se réjouit Bénédicte Batrancourt. Le futur programme ECOCAPTURE@HOME permettra de mesurer, à domicile, les variations de leur niveau d’activité, de la qualité de leur sommeil et de leurs émotions en fonction des modifications de leur environnement – grâce à un bracelet connecté. Le but est, à terme, de personnaliser la prise en charge pour que leurs symptômes puissent être gérés chez eux aussi longtemps que possible… et surtout, réduire les tabous qui entourent la maladie. »
Pour en savoir plus sur la démence fronto-temporale, consultez la fiche maladie de l’Institut du Cerveau.
Tanguy, D. et al., Behavioural disinhibition in frontotemporal dementia investigated within an ecological framework, Cortex. https://doi.org/10.1016/j.cortex.2022.11.013
Créé en 2010, l’Institut du Cerveau est un centre de recherche scientifique et médical d'excellence de dimension internationale, situé à Paris au cœur de l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Son modèle innovant réunit en un même lieu patients, médecins, chercheurs et entrepreneurs avec un objectif commun : comprendre le cerveau et accélérer la découverte de nouveaux traitements pour les maladies du système nerveux. L’Institut comprend ainsi un réseau de plus de 700 experts, au sein de 25 équipes de recherche, 10 plateformes technologiques de pointe, un centre d’investigation clinique, un organisme de formation et plus de 2000m² destinés à l’incubation de startups. Le modèle original de l’Institut du Cerveau repose sur l’association d’une unité mixte de recherche (APHP, Sorbonne Université, Inserm et CNRS) et d’une fondation privée, reconnue d’utilité publique, la Fondation ICM. institutducerveau-icm.org
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